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Le mec s'appelle A Guy Called Gerald
 
Noisey Noisey
7th September 2016
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Noisey

Le légendaire auteur de « Voodoo Ray » revient sur son parcours et sur cette époque étrange ou tout le monde s'accroche désespérément au passé.

En général, quand, au début d'un article sur un artiste, on vous explique qu'il n'est pas nécessaire de le présenter, ce que ça veut dire en vérité, c'est que le journaliste est trop flemmard pour aller sur Wikipédia et modifier deux phrases de description pour les coller dans son article, parce que bon, on est en 2016, et qui a encore le temps de faire des recherches ou de s'investir dans l'écriture ? Ici, c'est pourtant ce qu'il va se passer, parce que A Guy Called Gerald est vraiment le genre de type qu'il n'est pas nécessaire de présenter. Déjà parce qu'on sait comment il s'appelle et ensuite parce que si vous n'êtes pas au courant de ce qu'il représente pour la culture club du Royaume-Uni – et pour la dance music en général –, c'est que vous avez raté un épisode, et ce n'est sûrement pas nous qui allons le télécharger à votre place.

OK, on va le faire quand même. Né à Manchester, Gerald Simpson a découvert l'acid house à la fin des années 80, avant de se mettre lui-même à en faire. « Voodoo Ray », son premier single, est un monolithe acid d'une importance cruciale, qui sonne aussi bien aujourd'hui qu'à l'époque où vos parents s'envoyaient des cachets avec Shaun Ryder sur le dancefloor de la Hacienda. Innovateur frénétique – et obstiné –, Gerald a rapidement posé les bases de ce qui allait devenir la drum & bass et la jungle. Depuis, il a passé de longues périodes à New-York et à Berlin, et s'emploie actuellement à repousser les limites à la fois de la qualité du son et de l'originalité musicale dans les clubs.

Le mois prochain, Gerald montera sur la scène du Moondance festival, qui aura lieu dans le parc olympique Queen Elizabeth à Londres, pour un set intitulé « Dance music evolution ». Le pionnier acid jouera aux cotés de mecs comme Joey Beltram, Todd Terry, Slipmatt, Billy Daniel Bunter, Dillinja, et de dizaines de DJs hardcore/D&B/house/techno/grime, dans le cadre d'un événement que les promoteurs décrivent comme une célébration de « la culture rave, des racines jusqu'à aujourd'hui. »

Avant d'aller y faire un tour, nous avons passé un coup de fil à Gerald pour discuter du passé, du présent et de l'avenir de la dance music et de la culture club. Et de cheeseburgers, bizarrement.

Noisey : Pourquoi est-ce qu'on analyse et célèbre autant cette période 1989-1993 ?

A Guy Called Gerald : Si tu avais envie de danser sur autre chose que du Kylie Minogue à l'époque, c'était à toi de créer quelque chose de plus brut ; tu faisais la musique sur laquelle tu voulais danser. Cette énergie était canalisée et réinjectée dans la dance music, et plein de trucs se sont mis en place au même moment. On grandissait et on faisait bouger les choses. Je suis parti de chez moi pour m'installer dans un squat, parce que ça voulait dire pouvoir y monter un studio. J'ai réalisé que tout était à portée de main, mais que je ne pouvais pas vraiment faire ça chez mes parents. J'avais tenté le coup, mais ça tapait trop sur les nerfs de ma mère. J'avais besoin d'un lieu où je pouvais abattre les cloisons et y mettre des enceintes. Donc je me suis installé à Hulme, et là-bas, j'étais entouré de gens aux idées progressistes. Il y avait d'autres gens qui avaient des studios, donc cette dynamique d'échange était très palpable.

Ce n'est pas pour dénigrer le travail de qui que ce soit, mais la nostalgie est très présente dans la culture club, parfois jusqu'à l'écœurement...

Du revival du vinyle au retour des cassettes, en passant par la mode inspirée des fringues de ton grand-père, ce qui ressort c'est qu'à l'époque, il fallait aller quelque part pour sortir un disque. Il fallait aller voir une maison de production, et ils t'aidaient à développer ton idée, et ça se faisait comme ça. Il ne suffisait pas de télécharger des logiciels, et copier/coller des bouts de morceaux qui ont déjà été masterisés, et se demander pourquoi ton morceau ne sonne pas pareil, ou pas aussi bien.

C'est comme aller au McDo et acheter un burger. Il ne sera pas de la même qualité que si tu étais allé chez le boucher, que tu avais acheté les ingrédients, et que tu l'avais fait toi-même. Les gens veulent remonter le temps, et c'est une idée facile, à cause de tout ce délire autour de « l'analogique, ça sonne mieux », mais en fait, ça vient surtout du fait que les choses étaient faites comme il faut à l'époque, et que les gens prenaient le temps de bien les faire. Maintenant, tout le monde veut du tout-prêt qui sonne comme une vieille prod'. Mais ça ne marche pas. Parce que même si les logiciels peuvent imiter les vieux sons, on a toujours besoin de la bonne oreille pour les faire sonner comme il faut.

Pourquoi, dans ce cas, ma génération s'accroche-t-elle autant à cette idée de sons pré-enregistrés ? De quelle authenticité sommes nous si nostalgiques ?

C'est une question de temps et de sens pratique. C'est comme regarder un objet qui a été longuement et finement ouvragé à la main, tu l'apprécies d'autant plus parce que tu sais que sa confection a pris du temps. Quand tu vois une réplique du même truc, made in China ou made in Taïwan, et tu vois les marques du moule, tu te dis simplement que c'est un tas de merde. En gros, on est de plus en plus pressé par le temps, et on en manque. Je ne discute pas souvent avec des gens de ta génération, parce que je n'ai pas les codes qu'il faut – ça va trop vite. Voilà pourquoi ce qui a été fait dans le passé a de la valeur – ça a pris du temps. On a passé du temps dessus.

Est-ce que tu as l'impression que les gens de mon âge se contentent de retravailler le passé, plutôt que d'explorer la dangereuse, incontrôlable et terrifiante nouveauté ?

Un peu, oui. C'est déjà arrivé dans l'histoire de la culture, mais on dispose d'un attirail d'outils technologiques différent pour le faire aujourd'hui. Nous vivons probablement une période transitoire. Ce qui a été fait avant, c'est notre point d'ancrage, et on a, en gros, été propulsés dans une nouvelle ère technologique, et maintenant on est à un tournant. Le gens ne savent plus où aller, donc, de manière compréhensible, ils se retournent vers le point d'ancrage. Mais on ne peut plus continuer à tout régurgiter. Il faut qu'on aille quelque part.

La technologie dont on dispose aujourd'hui est incroyable. Je me souviens du sampler SN50, qui représentait la pointe de mon matos niveau sophistication – tout le reste tenait avec du gaffer – et je ne me contentais pas de sampler la dernière chanson de James Brown. Je pouvais choper des petits bouts de tout et n'importe quoi, et utiliser mon sampler au maximum de ses possibilités. Et c'était parce que j'avais le temps de le faire. J'avais gratté et économisé de l'argent partout où je pouvais pour pouvoir l'acheter, et je voulais en connaître les moindres subtilités.

Nous vivons à une époque de crise sociale, et je me demande si c'est dans genre de moments que ce que la culture club a à nous offrir prend toute son ampleur.

Je le pense. Je le place sur le même plan que le fait d'être en studio. Même si je suis aux abois et sans rien à me mettre sur le dos, j'ai cet endroit, qui m'est familier. C'est comme aller à son local de répète. Ça t'aide à avancer, parce que tu sais que ce sera toujours là.

Est-ce que c'est pour ça que les clubs sont toujours aussi importants ? Est-ce qu'on a besoin de ces lieux si chargés en mémoire collective ?

Il y a beaucoup de guerre menées contre les clubs. Je suis parti à Berlin pour y passer 3 mois, et j'y suis resté dix ans, ce qui n'aurait pas été le cas sans le réseau des clubs. Le moment le plus fou, quand je vivais à Berlin, c'est quand on quittait un club et qu'on prenait le métro pour rentrer : tu prenais la réalité en pleine gueule ! Il existe une vraie liberté, à Berlin. Tu peux, dans une certaine mesure, faire ce que tu veux là-bas. Ça change petit à petit, avec les années, mais ça reste un endroit très ouvert. Si tu voulais être artiste, tu pouvais l'être dans cette ville. Il y avait peu de contraintes. Au Royaume-Uni, il faut réussir à caler ça dans ton planning. J'ai beaucoup appris sur ce que je voulais faire, en musique, quand je vivais là-bas. C'est aussi une ville avec beaucoup d'opportunités en terme de collaboration.

Disons que la dance music s'appuie sur un triangle géographique qui relie Chicago, Detroit et Berlin. Comment tu transformes ça en carré, en terme d'importance ? Quelle ville s'y rajoute ?

New-York. J'y suis allé en pour la première fois 1989, juste au moment où le Garage fermait, mais il laissait tellement d'autres clubs dans son sillage, comme le Whirl, le Tunnel, Red Zone, tous ces clubs underground, qui avaient toujours fait partie de ma vie quand j'étais plus jeune – je vivais à Manchester, mais dès 82, 83, j'étais B-Boy, et je rêvais de New-York. J'y ai vécu cinq ans, et j'ai eu l'impression que la ville dépérissait un peu, culturellement. Les jeunes n'avaient pas vraiment le temps d'apprécier le passé là-bas. Et puis Rudolph Giuliani a fait passer la Cabaret Law, qui interdisait de faire danser les gens dans un bar, si tu n'avais pas de licence club. C'était une technique mafieuse : les clubs devaient payer. Mais ça reste quand même un centre névralgique de la dance music actuelle.

Je me dis souvent que la dance est une forme de musique où l'expérimentation poussée à l'extrême devient presque acceptée par tous en tant que manière de faire bouger les gens.
Je continue à trouver ça plutôt abstrait. J'étais branché electro-funk, et early hip-hop, et j'étais DJ à l'époque, et j'ai arrêté de faire le DJ quand j'ai chopé ma première boite à rythmes, et que j'ai commencé à produire. Je suis resté dans ce petit monde de la production, à écouter de la musique d'avant-garde. J'adorais les trucs comme Chick Corea, et je suis toujours allé explorer les confins de la musique. Je n'ai jamais vraiment été branché par ce qui était populaire. Quand j'ai découvert l'acid house, c'était en écoutant une émission sur Piccadilly Radio, à Manchester, un mec qui s'appelait Stu Allen passait de l'acid au milieu de la soul et du funk. J'ai fini par réaliser que les machines qu'ils utilisaient pour faire ce son, c'était les mêmes que je venais d'acheter. Dans cette émission, un des trucs qu'il faisait, c'est qu'il réservait un moment pour les démos. Donc j'ai envoyé une démo acid, et elle est passée. C'est comme ça que j'ai fait « Voodoo Ray ».

J'étais à fond dans cette musique vraiment excentrique et bancale. C'était mon truc. On aurait dit que les gens qui faisaient la musique la plus tarée ne cherchaient pas à faire des tubes, ils ne jouaient pas la carte de la sécurité. C'était ça l'acid, pour moi. Et ça reste le truc le plus important. Même à l'époque où j'étais dans les charts, je n'y pensais pas. Je commençais à me diriger vers la jungle. J'essayais toujours de découvrir le truc le plus neuf pour danser. Je n'avais que ça en tête.

[Author: Josh Baines]