Essence Sans Plomb | |
Trax No. 33 September 2000 Page: 52 |
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Vétéran de la scène acid house, Mister Gerald "Voodoo Ray" Simpson, alias A Guy Called Gerald, est de retour après cinq années d'absence, avec un lumineux Essence dont les breakbeats ensoleillés viennent adoucir une rentrée traditionnellement morose. IL ÉTAIT UNE FOIS l'éternelle histoire du musicien black spolié par le business. 1987, explosion de la scène acid house de Manchester : Gerald Simpson, membre de 808 State, compose avec ses partenaires ce qui restera l'hymne d'une génération, "Pacific State", une pierre jetée dans le jardin de l'histoire, et pour laquelle il ne touchera pas un centime. Une poignée de mois passent, Gerald quitte le groupe mancunien, et entame alors une carrière solo avec rien de moins qu'un nouveau brûlot, le fameux "Voodoo Ray", hit monstrueux des premières raves et accessoirement numéro douze dans les charts britanniques de l'époque. Un succès populaire mais un fiasco financier pour notre homme qui sera même salement éjecté de Sony Music après l'album Automanikk en raison de son incapacité à fournir à la firme japonaise un "Voodoo Ray" bis. Victime de ces considérations marketing dont il n'a que faire, Gerald se retrouve au début des années 90 derrière le comptoir d'un Mac Do afin d'assurer sa pitance : elle est pas belle la vie d'artiste ? Profondément marqué par ce retour à la dure réalité, A Guy Called Gerald se met à composer une jungle sombre et tendue, illustrant la difficulté de sa vie et également la violence et le chaos sévissant dans les rues du Manchester des années travaillistes comme en témoigne son album de 1993, 28 Gun Bad Boy (Juicebox, UK). Plus tard, ceux qui ont eu la chance de découvrir son album Black Secret Technology en 1995 (sur lequel un certain Finley Quaye fit ses premiers pas) ne sont pas prêts d'oublier sa drum'n'bass aventureuse et mélancolique nappée d'une soul vaporeuse, un mélange inédit à l'époque. Rattrapé par ses éternels problèmes de maisons de disques, il fallut cinq années et l'heureuse rencontre avec !K7, pour que Gerald sorte enfin Essence, une oeuvre apaisée dont l'accessibilité record devrait lui permettre de ne jamais retomber dans la fabrication des Royal Cheese. Trax : Est-ce que tu penses parfois à l'époque où tu travaillais chez Mac Do ? Gerald Simpson : Oui tout le temps. Aujourd'hui, il y a beaucoup de Dj's ou de musiciens qui ne connaissent rien en dehors de l'univers musical. Si je garde les pieds sur terre, c'est peut-être parce que j'ai fait des hamburgers dans le passé ! [rires] Paradoxalement, ne crois-tu pas que le succès de "Voodoo Ray" a été un handicap pour ta carrière ? En quelque sorte oui. Parce que c'était très tôt dans ma carrière. Pendant long-temps les labels ont espéré que je produise un autre "Voodoo Ray". C'est un super morceau, mais au fond de moi j'aspirais à quelque chose de plus expérimental : je devais évoluer. Le changement est une énergie positive. C'est pour cela aussi que j'ai déménagé à New York pour retrouver de l'énergie. Revenir en arrière et refaire le passé : non. Bon d'accord, j'ai fait des remixes de "Voodoo Ray", mais je voulais que cela me rapporte enfin de l'argent. Hélas, cela n'a pas été le cas, loin de là [rires]. Pourrais-tu aujourd'hui signer un gros contrat pour un gros label ? Je pourrais oui, mais je ne le ferais pas [rires]. Je suis heureux chez !K7. Je fais ce que je veux. J'ai besoin de travailler avec des gens qui m'aiment, me comprennent et qui connaissent toutes les musiques, pas seulement la dance music. Et puis, 50 % des gens du staff de !K7 New York sont des Dj's ! Essence est un album très serein... C'est une nouvelle étape. Le concept de cet album est basé sur la spiritualité. Il reflète parfaitement mon état d'esprit présent qui est effectivement plutôt apaisé. Je n'ai pas l'ambition de construire une musique pour le futur : il s'agit juste de mon futur personnel. Duel est ton objectif aujourd'hui : l'argent, la gloire, ou juste le plaisir ? Mon objectif est de répandre le mot "amour". La musique est un grand médium qui peut permettre à l'humanité d'être meilleure. Je ressens le devoir de ne pas gâcher ce pouvoir. Créer des sons superficiels, c'est très facile. Nous devons être conscient de ce que nous voulons faire de la planète. A mon modeste niveau, je tente de rapprocher l'homme et la nature. J'essaie d'avoir une autre aspiration que seulement "sortir et m'éclater". Les artistes de drum'n'bass ont pris l'habitude de faire des albums complexes, difficilement accessibles... Est-ce que l'accès facile d'Essence est une sorte de réaction par rapport à ce phénomène ? Non, pas du tout. J'effectue mon propre voyage et je ne cherche pas à influencer d'autres musiciens. Et si la fabrication de mes breaks est drum'n'bass, je ne pense pas vraiment composer de la drum'n'bass. L'esprit de ma musique est beaucoup plus "swing". Les tempos sont plus cool. La drum'n'bass actuelle est devenue très sombre et, même si j'aime ce style, je ne me voyais pas faire un album entier dans cette tonalité. Je ne cherche pas à faire de la musique de Dj's. Je vise le public moyen, alors que beaucoup de musiciens refusent cette accessibilité pour leur musique. Ton travail sur les voix pourrait-il à l'avenir impliquer des rappeurs ? Cela fait partie de mes projets d'autant plus que le hip hop est une de mes racines musicales tout comme l'électro. Le rap actuel est centré sur les paroles au détriment de la musique. Les rythmiques efficaces c'est super, cela fait danser, mais musicalement en tant que producteur, je trouve cela très pauvre : aucun message ne passe à travers la musique. D'ailleurs le côté répétitif de la drum'n'bass actuelle est le résultat du même processus. Est-ce dû au fait que les gens ne travaillent pas assez ? La musique actuelle a besoin de profondeur. Même instrumentale, elle peut exprimer beaucoup de sentiments. Beaucoup de rappeurs sont très négatifs. C'est bien qu'ils soient en colère contre le système, mais on a besoin également de positif afin de rendre les choses meilleures. Si tu penses positif, ta vie a plus de chance de s'améliorer. Il y a quelques années avant de quitter Londres, la musique que je faisais était très sombre, à l'image de mon état d'esprit. En fait, c'était comme si je construisais un trou et que je me mettais moi-même au fond. Ma démarche était mauvaise, car tu dois utiliser la musique non seulement pour t'améliorer, mais aussi pour améliorer les autres. C'est possible : regarde l'influence qu'a eu "Voodoo Ray" sur certaines personnes. Là où j'habite, entre Bed-Stuy et Crown Haights [deux quartiers de Brooklyn, ndr], c'est très dur, ce n'est pas le genre d'endroit où les touristes viennent en pique-nique, il y a des morts chaque jours sous mes fenêtres. Les rappeurs ont le pouvoir de faire passer des messages à beaucoup de gens mais tous leurs discours sur les flingues, la noirceur, sans parler des jurons, c'est dramatiquement improductif. Cela ne crée rien si ce n'est encore plus de noirceur. Je ne dis pas qu'ils ont forcément tort, mais cela n'éduque pas leur audience. C'est pas toujours facile de penser positif... C'est pourtant là la clé. Grimper sur la première marche n'est pas évident, mais une fois que tu as mis le pied dessus, la seconde marche sera plus facile. J'aimerai entendre un rappeur dire aux adolescents : "Essaie d'apprendre, regarde s'il n'existe pas d'autres endroits que celui où tu vis..." Beaucoup de jeunes de Brooklyn ne quittent jamais leur bloc, ils ne savent même pas à quoi ressemble Manhattan. Quand je vais chercher du lait au magasin en bas de chez moi, je les vois en train d'acheter des cigarettes et de l'alcool. Mais avec tout cet argent qu'ils dépensent en conneries, ils pourraient économiser pour aller dans un autre coin de la planète. Il y a aussi un problème d'éducation. L'éducation américaine est stupide, on leur dit : "Ne voyagez pas, tout ce dont vous avez besoin est ici". Si j'avais plus d'argent, j'essaierai chaque année d'envoyer cinq gamins de Brooklyn en voyage. La lecture est-elle toujours ta principale source d'inspiration ? Oui. J'aime beaucoup les livres sur la spiritualité. Il y a un livre qui a beaucoup compté pour moi, il s'appelle The Holographie of Universe. Il traite de la perception des sons et des lumières. Dernièrement, dans un registre identique, j'ai lu The Separate Sound sur la manière dont les gens ressentent les sons. J'aime lire des livres qui m'expliquent des choses. As-tu grandi dans un climat musical ? Mes parents étaient musiciens, ils jouaient du piano et de la guitare. Ma mère m'a fait donner des cours de piano avec une femme horrible qui me tapait sur les doigts avec une règle si je faisais une fausse note. C'était effrayant. Quel contraste cette méthode basée sur la douleur alors que pour moi la musique signifiait, la liberté et le bonheur! Liberté musicale, aujourd'hui, égale Mp3, qu'en penses-tu ? Aujourd'hui le Mp3 rend la diffusion de la musique plus accessible. Mais il n'y a aucun moyen pour les artistes de récupérer de l'argent. Napster donne les morceaux. Si demain un cinglé donnait de l'or ou des Rolls Royce, la valeur de ces biens s'effondrerait. Pourtant, j'aime cette idée de diffuser son art à tout le monde sans obstacle. Je suis contre les gros labels et leur manière de cloisonner le business. Les grandes maisons de disques possèdent le studio d'enregistrement, plus le magazine, plus la radio. Résultat : elles fabriquent à la chaîne des artistes qu'elles mettent dans leurs systèmes. Avec le Mp3, le monopole disparaît, mais il faut trouver un moyen de rémunérer l'artiste. Quels sont tes projets ? Je viens juste de terminer des breaks pour Herbie Hancock. Il a mis en chantier un projet expérimental en utilisant notamment des éléments de drum'n'bass. Bill Laswell travaille également avec lui. Mais mon rêve serait de travailler avec Chick Corea. Un jour peut-être [rires]... Essence (!K7/PIAS), sortie le 28 août tg [Author: Max di Caro, Photos: Wile-E] |
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A GUY CALLED GERALD "HUMANITY" Artiste : A Guy Called Gerald. Gerald Simpson pour l'état-civil. Mancunien exilé à New York, Simpson a beaucoup compté dans l'explosion de l'acid house avec son premier groupe, 808 State. Parti en solo, il a connu des fortunes diverses avant de trouver sur !K7 un havre de paix pour ses productions. Album : Essence. Cinquième album après Hot Lemonade (88), Automanikk (89), 28 Gun Bad Boy (92) et l'excellent Black Secret Technology (95). Album apaisé, Essence alterne drum'n'bass et vocaux éthérés, avec notamment Wendy Page, Lacy Kier ou David Simpson. Label : !K7. Label allemand bien connu, qui semble, depuis l'album de Smith & Mighty, se spécialiser dans les signatures de piliers de la scène broyés par le système. L'objectif de !K7, devenir un label où les albums d'artistes primeraient sur les compilations est en passe d'être atteint, au vu de la qualité des dernières sorties. Track : "Humanity". Drum'n'bass downtempo porté par la voix de Louise Rhodes, "Humanity" glace le sang. Un titre ciselé et splendide, où une fine mélodie s'oppose à de puissantes infrabasses. A noter les multiples remixes signés Ashley Beedle, Funkstörung ou Ian Simmonds |